La carrière forestière

Voilà un endroit qui me faisait rêver depuis plus de dix ans déjà. En voyant les premières photos de cette carrière sur un forum de chasseur d'épaves, j'avais tout de suite été séduit par l'atmosphère qui se dégageait de zone endormie, hantée par de nombreux camions et autres engins de chantier. Le tout était dissimulé sous une très épaisse forêt de sapins, sombre et mystérieuse, comme on en en voit beaucoup dans les basses montagnes de l'Est du pays. Ce genre de contexte, tout bonnement inexistant par chez moi, m'avait immédiatement séduit, aussi ai-je été particulièrement content de pouvoir le voir de mes propres yeux durant cet Automne 2022. 

L'endroit a beaucoup changé depuis l'époque des premières images que j'ai pu voir sur le net : D'abords, la forêt qui recouvrait le coin a été presque entièrement coupée, laissant réapparaitre les nombreux trésors qui s'y cachaient. Finie, l'atmosphère humide et obscure de cette dense jungle vosgienne. Désormais, le coin a plus l'allure d'un terrain vague jonché de bois mort, de rocaille et autres restes de ferraille, le tout surplombé par le flanc de la montagne boisée. Quelques-uns des véhicules présents sur place ont disparu tandis que d'autres ont été réduits en miettes par la chute des arbres, contribuant un peu plus à l'image chaotique que dégage cette friche désolée.

Après avoir échangé quelques mots avec des VTTistes égarés sur place, nous voici à la découverte des premières reliques oubliées par là. Le GMC couvert de mousse est extrêmement photogénique malgré la luminosité capricieuse, veillant toujours sur le chemin presque disparu qui passe face à lui. Pour le moment, on ne s'approchera pas de la "maison" qui marque l'entrée de la friche, préférant nous la réserver pour la fin de la visite. Le clou du spectacle nous attendra à l'intérieur.

S'élevant sur deux niveaux, la "grange" bâtie a flanc de montagne revêt une allure fantomatique assez fascinante. Entre ses murs de pierre s'enchaînent différents espaces défraîchis, renfermant tantôt quelques machineries industrielles endormies, tantôt des amoncellements de gravats et de bois vermoulu tombé des niveaux supérieurs. Un rouleau-compresseur et une pelle mécanique dorment l'un derrière l'autre dans un ancien garage ténébreux, donnant l'allure d'une mystérieuse nécropole mécanique restée inviolée jusqu'à là. Inconsciemment, on parlera à voix basse tandis qu'on se frayera notre passage autour de ces dinosaures immobiles, comme si on cherchait à ne pas les réveiller de leurs profonde léthargie.

Dans la pièce d'à côté, Une carcasse de Peugeot 203 à l'envers s'est retrouvé dans cette position inconfortable en tombant de l'étage supérieur, ayant traversé le sol fragilisé par les décennies d'abandon avant de finir sa course quelques mètres plus bas, au milieu des décombres. Enfin, quand on monte au niveau du dessus, on peut encore découvrir un superbe camion GMC posé dans un coin, sous l'impressionnante charpente métallique en fin de vie. C'est dans cette zone-là que devaient être entreposés la plupart des véhicules à la fin de chaque journée de travail. Désormais, l'endroit n'est plus qu'une ruine moderne pratiquement à ciel ouvert, offrant un mélange parfait entre rouille, formes industrielles et végétation sauvage. Je suis sous le charme.

Un peu à l'écart dans un coin encore boisé, la "remise" est un amas de camions démolis et autres machines informes massées sous des arbres squelettiques. On pourrait prêter de nombreuses symboliques à la vision de cette forêt primaire qui recouvre ce cimetière de mécanique endormi, faisant progressivement disparaître chaque détails de ces véhicules pourtant si robustes dans une époque lointaine. Certains utilitaires sembleraient même avoir poussé sur place tant ils ne font qu'un avec la végétation sauvage et les rocailles humides autour. Ces anciens monstres mécaniques, autrefois bruyants et mobiles, ne sont désormais que de simples éléments d'un décor anarchique, des formes assez floues plongés depuis des décennies dans une profonde inertie. 

Certains de ces vestiges ont du participer à la seconde guerre mondiale avant d'être réemployés dans le civil, à l'image de cette curieuse camionnette Phänomen rouge amenée ici par les allemands, et qui a du peut-être du servir d'ambulance ou de véhicule-radio dans une autre vie. Une rareté absolue à l'heure actuelle.

Il est désormais temps pour nous d'aller jeter un oeuil dans la dernière partie intéressante de la carrière, à savoir les sous-sols du petit bâtiment qui se trouve à l'entrée du site. Une fois entrés dans ce qui semblent être d'anciens logements délabrés, un passage assez hasardeux nous permettra de descendre dans ces pièces semi-enterrés, plongées dans le noir presque total. Trois fantômes surdimensionnés apparaitront alors dans le halo de nos lampes de poche, la mine inquiétante et le regard vide. Il faut dire que ces monstres métalliques sont tapis dans cet antre humide depuis plus d'un demi siècle déjà, à jamais privé d'espace et de la lumière du jour. 

M'aventurer dans un tel endroit me donnait la grisante impression d'être un explorateur des temps modernes, parti à la découverte de quelque tombeau oublié.

La visite touche à sa fin et il sera temps pour nous de reprendre la route à la découverte d'autres trésors endormis à travers la région. Bien que l'allure de cette carrière forestière ait radicalement changé depuis ces dernières années, je suis content d'avoir enfin pu mettre les pieds ici. 

Et si la quantité de matériel encore présent sur place a de quoi impressionner, il faut savoir que jusqu'au cours des années 2000, l'endroit était encore bien plus fourni : On trouvait à l'époque de nombreux autres camions et machines de TP un peu partout sur le terrain et dans la vaste grange, la zone était alors un important cimetière de mécaniques. La hausse des prix de la ferraille a fait que certains ont du se servir sur place, à l'époque ou la carrière devait être encore praticable. Tout ce qui reste a lentement souffert du temps qui passe, de la rouille et des coupes d'arbres, jusqu'à donner le résultat que l'on connait aujourd'hui... Mais d'ailleurs, pourquoi est-ce que tous ces véhicules ont ainsi été abandonnés sur place après l'arrêt de l'exploitation ? Absolument tout a été laissé en plan, y compris des camions qui devaient avoir à peine plus d'une dizaine d'années. Inexplicable.

L'histoire qui circule quand à ce mystérieux abandon est à la fois belle et étonnante : Après la mort du propriétaire de la carrière survenu sur la période de la seconde guerre, l'entreprise est alors repris par sa fille, qui en assurera la gestion pendant plus de vingt ans. Puis, à la toute fin des années 60, celle-ci laissera tout derrière elle pour partir dans le Sud de la France, afin de rejoindre un amour de jeunesse. Depuis, le temps s'est définitivement arrêté dans ce coin de vallée Vosgienne, dans laquelle le silence règne.

Merci à Jon pour ce week-end de chasse intensive et pour la découverte de ce sanctuaire incroyable. On remettra ça rapidement !